Hommage d’un poète, Louis Aragon, à un autre, l’arménien Missak Manouchian, résistant mort pour la France.

La panthéonisation du poète Missak Manouchian, quatre-vingts ans après sa mort, et de son épouse Mélinée signe un travail militant de longue haleine.

La panthéonisation du poète Missak Manouchian, quatre-vingts ans après sa mort, et de son épouse Mélinée signe un travail militant de longue haleine.

Il aura fallu soixante-dix ans de lutte mémorielle pour faire connaître, reconnaître et honorer la part considérable qu’ont prise – dès les premières heures – les étrangers, juifs très souvent, communistes aussi souvent, dans le combat contre l’occupant nazi.

Déjà à l’occasion de l’inauguration officielle de la rue Groupe Manouchian, le 5 mars 1955, Louis Aragon avait écrit un poème Strophes pour se souvenir dans Le Roman inachevé, librement inspiré de la dernière lettre que l’Arménien Missak Manouchian a adressé à son épouse Mélinée.

Ce poème a été mis en musique en 1959 par léo Ferré sous le titre L’Affiche rouge et publié dans Léo Ferré chante Aragon, en 1961.

Le 5 mars 1955, la Rue du Groupe-Manouchian est inaugurée dans le XXème arrondissement, on peut aussi admirer une fresque murale et un monument au Père Lachaise.

Depuis 1996, le 21 février donne lieu à une commémoration annuelle dans cet arrondissement car ce jour, en 1944, 23 membres du groupe FTP-MOI ( Francs- Tireurs et Partisans et Main d’Œuvre Immigrée) ont été fusillés au Mont Valérien, par l’Allemagne nazie.

En 1955, Louis Aragon (1897-1982) a écrit Strophes pour se souvenir, ceci dans un but précis, remémorer, préserver de l’oubli, laisser une trace de ces résistants étrangers, comme l’indique le titre explicite du poème et le vers Onze ans déjà que cela passe vite onze ans.  En rappelant l’Histoire, Aragon tente de raviver le souvenir d’hommes étrangers immigrés qui ont donné leur vie pour libérer la France. Le poème sombre évoque un temps de guerre, Aragon insiste sur le fait que la médiatisation voulue par les nazis a sauvé Manouchian et son groupe de l’oubli dans lequel sont tombés tant de héros. La propagande allemande qui avait fait placarder une Affiche rouge, comparée à « une tache de sang », sur laquelle des portraits d’hommes à la mine effrayante et aux noms aux consonnances étrangères parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles, affiche sur laquelle dix visages de camarades, étrangers et nos frères pourtant unis par les mêmes valeurs, avait pour but de diaboliser la Résistance dans une nette intention xénophobe, ceci pour exciter la peur des passants, ne les a pas fait oublier, ironie du sort !
Les vingt-trois partisans, exécutés au Mont Valérien, criaient la France en s’abattant ils rejoignent aujourd’hui leurs frères résistants, au Panthéon, dans lequel seuls ces héros étrangers manquaient.

Dans son poème, Aragon inclut un extrait de la lettre écrite par Manouchian, juste avant d’être exécuté, à sa femme Mélinée. Triste de quitter la vie, le jour de leur anniversaire de mariage ce 21 février, il parle d’espoir, de bonheur.
Mélinée Manouchian, arménienne également, logée chez les Aznavourian, (père de Charles Aznavour), était une résistante impliquée dans le service de renseignements des FTP-MOI, elle échappe de justesse à l’arrestation et aux tortures. Dans sa lettre, Manouchian adresse un adieu déchirant à mon amour, mon orpheline et  je te dis de vivre et d’avoir un enfant. C’est une allusion à l’idée de victoire et de bonheur futur car il est convaincu que La justice viendra, que sa vie est le prix à payer pour le retour de la paix et de la Liberté.

Manouchian apporte l’espoir d’un bonheur prochain grâce à la victoire, montre détermination, courage et sérénité face à la mort Bonheur à tous, Bonheur à ceux qui vont survivre et générosité Je meurs sans haine pour le peuple allemand.

Par ce poème, chanté par Ann Gaytan, immortalisé par Léo Ferré, Aragon se fait gardien de la mémoire. Cet éloge à la vie nous invite à profiter de notre liberté acquise au prix de nombreux sacrifices.

Loin d’être oubliée, cette Affiche a maintenu le souvenir des Résistants comme en témoigne une impressionnante bibliographie dont voici quelques titres :

  • Mélinée Manouchian a publié Manouchian, en 1954
  • Gaston Laroche, On les nommait des étrangers, Les Éditeurs français réunis, 1965
  • Philippe Ganier-Raymond, L’affiche rouge, Fayard, 1975
  • Tchakarian, Les Francs-tireurs de l’affiche rouge, Paris, 1986.
  • Stéphane Courtois, Denis Peschanski, Adam Rayski, Le Sang de l’étranger. Les immigrés de la MOI dans la RésistanceFayard, 1989.
  • Didier Daenninckx a publié un roman historique Missak , Perrin, 2009 et deux romans graphiques : Missak, l’enfant de l’Affiche rouge, Rue du Monde, 2009 et Missak Manouchian : Une vie héroïque, Les Arènes 2023.
  • En 2024, Dimitri Manessis, Jean Vigreux ont publié Avec tous tes frères étrangers. De la MOE aux FTP-MOI, Montreuil, Libertalia,
  • Annette Wieviorka, Anatomie de l’Affiche rouge, 2024.

Des films également, le documentaire Des terroristes à la retraite, de Mosco Boucault,  1985, ainsi que la fiction historique  l’Affiche Rouge, de Frank Cassenti, puis  l’Armée du Crime, de Robert Guédiguian.

Elisabeth Devriendt


Poème de Louis Aragon dans Le Roman inachevé (Gallimard 1956)

Strophes pour se souvenir

Vous n’avez réclamé la gloire ni les larmes
Ni l’orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servi simplement de vos armes
La mort n’éblouit pas les yeux des Partisans

Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L’affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants.

Nul ne semblait vous voir Français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l’heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE
Et les mornes matins en étaient différents

Tout avait la couleur uniforme du givre
A la fin février pour vos derniers moments
Et c’est alors que l’un de vous dit calmement
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand

Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan

Un grand soleil d’hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le cœur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d’avoir un enfant

Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient leur cœur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant.

 


 

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