Femme, écrivain et algérienne, Assia Djebar entre à l’Académie française

Le 16 juin 2005, l’Académie Française a élu l’écrivain algérienne Assia Djebar pour succéder au juriste Georges Vedel, par 36 voix contre 11 pour l’écrivain Dominique Fernandez; elle y a été reçue le 15 juin dernier. L’Académie montre ainsi que, sous son image d’institution vénérable peu propice aux révolutions, fussent-t-elles de palais, elle sait s’ouvrir aux différences : l’Afrique y fit son entrée avec Léopold Sédar Senghor en 1983, les femmes avec Marguerite Yourcenar en 1980, puis Hélène Carrère d’Encausse, qui en est le Secrétaire perpétuel, et Jacqueline de Romilly. Avec Assia Djebar, c’est encore une femme mais c’est aussi le Maghreb qui rejoint le cercle des 40 « immortels ».

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De son vrai nom Fatima-Zohra Imalayène, elle est née le 30 juin 1936 à Cherchell en Algérie. Elle y fait toutes ses études scolaires puis entre en 1955 à l’École normale supérieure de Sèvres. Elle reçoit également une formation d’historienne (histoire du Moyen Age arabe et Maghreb du XIXe siècle) sous la direction de Louis Massignon et Jacques Berque. Elle écrit son premier roman La Soif en 1957, suivi de son deuxième roman en 1958 Les Impatients. On la qualifiera à l’époque de « Françoise Sagan musulmane ». Mariée à un résistant algérien, elle le suit en exil à Tunis puis au Maroc où elle enseigne l’histoire moderne et contemporaine du Maghreb à la Faculté des lettres de Rabat, de 1959 à 1962.

Au printemps 1962, sort à Paris son troisième roman Les enfants du nouveau monde. En 1962, elle retourne en Algérie où elle mène de front l’enseignement d’histoire et de littérature française à la faculté d’Alger, l’écriture, et une carrière de cinéaste avec en 1979 La Nouba des Femmes du Mont Chenoua, un long métrage qui entremêle la fiction et des témoignages historiques, un procédé qu’on retrouvera dans son écriture ; et en 1982 La Zerda et les Chants de l’oubli, un documentaire sur l’histoire du colonialisme au Maghreb qui lui vaudra le prix du « meilleur film historique » au festival de Berlin en 1983. Ne pouvant tout concilier, Assia Djebar choisit définitivement de retourner vivre à Paris, en 1980. Depuis 1980, sa vie est consacrée presque exclusivement à son travail d’écriture française :

« Je sais aujourd’hui qu’on peut écrire dans une langue étrangère, l’intégrer à notre imaginaire sans pour autant rompre avec ses racines »

dit-elle, elle qui a choisi la langue française pour patrie mais pour qui l’Algérie reste une douleur et un amour.

Elle publie dès lors régulièrement aux éditions Albin Michel et Actes Sud. Des romans comme L’Amour, la Fantasia en 1985, des nouvelles avec Femmes d’Alger dans leur appartement, un titre en forme de clin d’œil au tableau de Delacroix, du théâtre avec Filles d’Ismaël dans le vent et la tempête ou Aicha et les femmes de Médine.

Avec le temps et tant de travail est venue la reconnaissance internationale : son œuvre est traduite en vingt et une langues et fait l’objet de nombreuses études. Assia Djebar donne des lectures et des conférences en Allemagne, en Italie, dans les universités américaines et canadiennes. Un colloque international lui a été consacré en Novembre 2003, à la Maison de écrivains, à Paris (actes publiés en 2005) ; et un autre est prévu à Cerisy en 2008.

Avec cette son entrée à l’Académie, ce n’est pas seulement son œuvre que l’on consacre, c’est comme le dit Tahar Ben Jelloun, autre écrivain francophone originaire du Maghreb, « la France et la langue française qui s’enrichissent et prennent de nouvelles couleurs », mais c’est aussi pour Assia Djebar l’espoir de voir de l’autre côté de la Méditerranée la traduction en arabe pas seulement de ses livres, mais de tous les auteurs francophones.

Car il ne faut pas oublier que Assia Djebar est une combattante dont l’œuvre exprime fortement les convictions de l’historienne engagée, l’engagement de la femme qui parle de celles « qui baissent les paupières ou regardent dans le vague pour communiquer », la force de la pensée qui interroge sans relâche les rapports du corps à son environnement et à sa représentation sociale ou esthétique.

Rentrer dans l’œuvre d’Assia Djebar, c’est comprendre ce que signifie son pseudonyme : « consolation » et « intransigeance » en arabe. On ne saurait mieux dire !

Silvia Cauquil

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