Prix littéraires : la cuvée 2007

libros1Avec quelques surprises : si, l’année dernière, le choix des Bienveillantes de Jonathan Littell s’était imposé comme une évidence, il n’aura pas fallu moins de quatorze tours de scrutin avant que les Goncourt accordent leurs suffrages à Gilles Leroy pour Alabama Song (Mercure de France), et c’est Daniel Pennac, qui ne figurait sur aucune liste de sélection, qui a emporté le Renaudot avec Chagrin d’école (Gallimard).

Trois journalistes ont été primés avec le Fémina à Eric Fottorino, directeur de rédaction au Monde, pour Baisers de cinéma (Gallimard), le Médicis à Jean Hatzfeld, ancien grand reporter à Libération, pour La stratégie des antilopes (Seuil), troisième volet de sa saga sur le génocide au Rwanda, et l’Interallié, traditionnellement attribué à un journaliste, qui échoit à Christophe Ono-dit-Biot, journaliste au Point, pour Birmane (Plon).

En revanche, aucune femme n’a été récompensée. Misogynie des jurés ou des media qui font et défont la fortune critique des écrivains, les femmes sont les parents pauvres des prix littéraires. Ni Marie Darrieussecq pour Tom est mort, ni Amélie Nothomb pour Ni d’Eve ni d’Adam n’ont été retenues.

A mi-chemin entre la fiction et la biographie, Alabama Song nous entraîne dans le sillage de Zelda devenue Mme Scott Fitzgerald. Au sortir de la 1ère guerre mondiale, le jeune couple est la coqueluche du New-York littéraire et mondain. Il s’y brûlera les ailes, lui rongé par l’alcool et elle par la folie. L’écriture sensible de Gilles Leroy traduit la flamboyance et les contradictions de Zelda, puis le lent abandon qui la mènera jusqu’au plus grand désordre de l’esprit.

Daniel Pennac, ancien cancre lui-même, détaille dans Chagrin d’école cet archétype du monde scolaire, en s’attachant à en décrire la part d’angoisse et de douleur. Il excelle dans la description un brin nostalgique d’une figure qu’il connaît bien pour l’avoir été, mais aussi pour avoir été professeur, et livre à cette occasion ses pensées sur l’école, la jeunesse, et le monde tel qu’il va aujourd’hui. Le livre est un peu fouillis, les réflexions d’une qualité inégale, mais l’écriture allie légèreté et spontanéité, ces qualités qui font depuis des années le succès des œuvres de Daniel Pennac.

Il y a du Modiano dans Baisers de cinéma d’Eric Fottorino, cette façon d’intégrer le décor parisien dans l’histoire, d’en faire un élément constitutif du récit, et cette vision toujours légèrement empreinte d’une tristesse vague. Mais il y a aussi ce thème récurrent de la mémoire chez Fottorino. Cette mémoire qui ne permet pas toujours de remonter le fil des origines. Le personnage principal, né d’un baiser de cinéma entre un photographe de plateau et une actrice, cherche dans les regards la trace de sa mère disparue. Il s’accroche ainsi à des ombres, et finit, d’un attachement à l’autre, par “aimer l’absence“.

Birmane est le roman d’un aventurier d’aujourd’hui. César, le héros, espère changer le cours de sa vie en décrochant l’interview d’un gros trafiquant d’opium birman. Les choses auraient pu être simples si César n’avait pas été un amateur et la Birmanie une dictature. Christophe Ono-dit-Biot nous entraîne dans un récit très exotique dans toute l’acception du terme: étrange, étouffant, mystérieux. Un double registre d’écriture, l’un réaliste, volontiers sordide, cru et parfois gênant, l’autre plus poétique offrant des échappées belles vers des vues sublimes et dramatiques, tient le lecteur dans un état de tension. Il est aussi la traduction du double visage de la Birmanie, pays enchanteur mais ravagé par la drogue et la corruption.

Pour ma part, je regrette qu’aucun prix ne soit venu récompenser le très beau roman de Philippe Claudel Le rapport de Brodeck (Stock). Brodeck n’est pas écrivain, il décrit la réalité en rédigeant des notes sur la flore, l’environnement du village. Parce qu’il sait écrire on lui demande de raconter ce qui s’est passé. Mais Brodeck est consciencieux, soucieux de la vérité, même si elle n’est pas bonne à dire. Vaguement situé dans l’espace et le temps, le récit est une fable universelle où Philippe Claudel exprime une fois de plus son obsession du mal qui nous possède et nous ronge, tout en ménageant des éclairs d’humanité qui permettent de conserver de l’espoir. Le récit est admirablement structuré, et l’auteur multiplie les ruptures narratives, les remontées dans le temps, les changements de registre sans jamais égarer son lecteur.

Une très belle histoire humaine servie par un véritable style littéraire. Une œuvre majeure.

Silvia Bonnet-Cauquil

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