YOGA d’Emmanuel Carrère

Yoga, le dernier livre d’Emmanuel Carrère faisait partie des premiers sur la liste des prix de l’automne, du Goncourt au Renaudot. Finalement c’est le prix « Princesa de Asturias de Letras 2021 » qui récompense ce livre délicat et bouleversant.

Un livre, bouleversant voire déroutant pourrait-on dire ! Et en effet, il l’est car malgré son titre, ce n’est pas un petit traité pour apprendre à méditer, à lâcher prise mais le récit d’une plongée en enfer.
Sans toutefois être une autobiographie, car l’auteur de D’autres vies que la mienne ne nous donne pas la raison de sa dépression, il nous conduit plutôt du Morvan à l’hôpital psychiatrique Sainte-Anne, de Paris à Lesbos. Ceci dans une langue qui lui est propre, limpide, simple et d’une grande efficacité. Yoga est un livre terrifiant et drôle sur la dépression et la difficulté d’être soi.

En janvier 2015, Carrère se retrouve dans le Morvan pour un stage intensif lorsque l’Histoire le rattrape. L’auteur de La Moustache quitte son zafu (coussin pour pratiquer le yoga) pour évoquer, lors de ses obsèques, son ami Bernard Maris, victime des attentats de Charlie Hebdo.
Ce n’est pas le seul deuil qui traverse ce livre car en 2018, son éditeur Paul Otchakovsky- Laurens, 35 ans de complicité, disparaît dans un accident de voiture. A ces souffrances morales s’ajoute une dépression mélancolique qui le conduit, à la demande de sa sœur, à l’enfermement.

L’auteur de Limonov décrit dans le chapitre « Histoire de ma folie » son internement pendant 4 mois à Sainte-Anne, les traitements de choc, les souffrances intolérables.  « Ce mal dont je suis atteint, à défaut d’en guérir, je peux le décrire : bipolarité type II ». Les fluctuations d’humeur sont source d’angoisse pour tout être épris d’unité. Ecrire, c’est pour l’auteur, garder la trace d’une expérience humaine cruelle.

Enfin dans la troisième partie, le journaliste, remis sur pied, se dirige vers la petite île grecque de Lesbos avec un paquet de notes sur le yoga sous le bras. Dans un camp voisin vivent des migrants, des mineurs, des Syriens, qui cherchent à rejoindre la France, la Belgique ou le Royaume-Uni, Carrère organise des ateliers de « creative writing » pour ces réfugiés.
« Devenir un meilleur être humain », réapprendre à vivre, voici la leçon que nous donne Carrère dans ce portrait d’un homme mis à terre – un livre magistral que l’on dévore -un livre qui parle à autrui. Livre écrit à la première personne, d’une sincérité bouleversante, livre qui attrape : la langue d’Emmanuel Carrère nous emporte et nous transporte hors de nous-même ! Devenir meilleur ? Montaigne se reconnaîtrait dans cette peinture de « l’humaine condition ».

Elisabeth Devriendt

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