Tamara Toma, une collectionneuse dans l’âme

Ces jours-ci est accrochée à l’Alliance Française une magnifique exposition qui vaut le détour …

Ces jours-ci est accrochée à l’Alliance Française une magnifique exposition qui vaut le détour : ce sont les illustrations visuelles du poème Feuille d’herbe du grand poète américain du XIXe siècle, Walt Whitman, traduit en espagnol par Jorge Luis Borges. Les tableaux ont été prêtés par Tamara Toma.

Tamara, l’épouse du peintre Pérez Celis, est née dans le nord de la Roumanie, dans la région du grand conteur classique Ion Creanga (1), auteur de “Souvenirs de mon enfance”. Puis, elle a habité Bucarest avec sa famille, dans une maison attribuée par le gouvernement, maison partagée avec un couple de juifs très cultivés, collectionneurs d’objets d’art, de tableaux et de livres. C’est dans cet univers artistique que Tamara a grandi. Lorsque le couple, persécuté par le gouvernement, dut fuir, il laissa, derrière, une partie de la collection.

Auparavant, la femme avait enseigné à Tamara quelques rudiments de français, à apprécier les tableaux et lui avait offert crayons et papiers pour dessiner. Dès l’âge de cinq ans, Tamara est inscrite dans une école d’art, elle suit donc une double scolarité : l’école et les Beaux-Arts. Passionnée de peinture, elle lit, lit, mémorise les œuvres, s’imprègne des grands maîtres et affûte son regard. Un professeur particulier favorise son apprentissage du français, sans oublier l’anglais. Ensuite, un choix rare pour une jeune fille dans les années ’75, elle étudie « commerce extérieur » et « droit », un double parcours universitaire ! Lorsqu’elle termine l’université, à 24 ans, son père lui offre une voiture : fait mémorable dans cette Roumanie d’austérité communiste. Bien entourée de copains et débrouillarde, la jeune femme s’accommode au système D du moment :  sait où déposer discrètement, à un endroit stratégique un sac et le reprendre, sans avoir l’air de rien et sans même connaître le contenu pour obtenir nourriture et cigarettes en échange.

Ses diplômes en poche, Tamara travaille, se marie et, alors, le jeune ménage décide de quitter ce pays où les privations sont le quotidien et dans lequel ils étouffent. Ni la perte de sa citoyenneté, ni le mot « apatride » inscrit sur son passeport, ni les tracas bureaucratiques, rien ne la détourne de son objectif ; baisser les bras, jamais ! Elle ne retournera en Roumanie que deux fois, la première avec Pérez Celis, dans les années 2005… Le roi Michel (2) connut le même sort : confiscation du passeport, interdiction de séjour après son arrivée en 1992.

C’est en Patagonie, à Puerto Madryn que le couple s’installe en 1985, ayant chacun trouvé un travail. Trois ans plus tard, elle s’ennuie, divorce et vient s’installer à Buenos Aires. Arrivée seule dans la capitale, elle occupe un poste   dans l’entreprise Gancia et la vie reprend. Sa passion pour l’art étant toujours aussi vive, la citadine fréquente enfin musées et galeries parmi lesquelles la galerie Praxis. Une sérigraphie de Pérez Celis lui plaît mais c’est un tableau qu’elle veut, difficile lui dit-on car vu la taille des œuvres du plasticien, il faut posséder une maison assez vaste pour l’y accrocher. Elle l’achètera quelques années plus tard, rien ne lui est impossible. Cette fine amatrice d’art arpente les allées de ARTEBA lorsque le destin s’introduit. Un jour, elle devise une table occupée par Mario Segundo Pérez, Bergara Leumann et Pérez Celis, ce dernier lui donne sa carte et l’invite à venir découvrir son atelier … En compagnie d’une amie, elle ira, mais c’est à Miami qu’ils se revoient. Bien que veuf, ils sortent incognito, puis le plasticien décide de rendre officiel leur amour. Tamara souligne : « Era en mi destino ». Ils ne se quitteront plus, Tamara l’accompagne à Paris, à Londres, où la solide formation artistique de la petite roumaine est une source d’étonnement pour le peintre, comme l’est pour elle la ferveur de Pérez pour Boca ! Paris, New York, Buenos Aires, Pérez Celis a peint plus de cent tableaux de ces trois villes.

Un mariage discret à Buenos Aires, huit ans à Miami, dans une maison remplie d’amis car charismatique, Pérez Celis invite tous les amis à déguster les fameux raviolis de Tamara. Vivre avec un peintre, c’est vivre pour lui, la peinture d’abord, c’est aussi côtoyer les plus grands critiques d’art : Gaston Dielh, Jean Cassou, Rafael Squirru.

Lorsqu’une leucémie emporte Celis, elle s’occupe de ses œuvres « C’est la mission de ma vie ». Tamara organise des expositions à Buenos Aires et dans le pays, musée des Beaux-Arts, Alliance française… Mais le véritable travail de titan, sa principale œuvre, c’est « Le Musée Virtuel Pérez Celis », créé sur Google, le premier consacré à un seul peintre. Cet hommage personnel représente des années de travail, de recherches et pas mal d’argent : une réalisation exceptionnelle…

Vivre avec passion, sa passion ! Un destin qui mène parfois de Bucarest à Buenos Aires.

 

Elizabeth Devriendt

 

(1) Ion Creanga (1837-1889) Grand écrivain roumain du XIXe siècle.

(2) Le roi Michel 1er, dernier roi de Roumanie (1921-2017) a eu un règne mouvementé. Détrôné une première fois par son père, il a définitivement été exclu une seconde fois, par l’arrivée au pouvoir des communistes.


 

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