Carnet de correspondances

47Ils ne sont pas venus avec les mêmes objectifs, ni les mêmes ambitions. Les uns veulent faire leurs armes, les autres pour-suivent une carrière… Mais tous partagent le même plaisir à travailler dans ce pays et aucun n’a, pour l’instant, l’envie d’en partir. Ils sont avant tout des témoins de l’actualité argentine pour des publics éloignés. Mais grâce aux nouvelles technologies, internet en tête, ils touchent aussi, en temps réel, la communauté francophone d´Argentine. L’information parcourt des milliers de kilomètres de câbles, et pourtant, les journalistes qui la transmettent et le public qui la reçoit habitent parfois, sans le savoir, la même rue. Première partie de notre série de portraits consacrée aux correspondants de presse français en Argentine.

Jean-Louis Buchet, 52 ans – RFI, La Tribune, France Culture – “Français et Argentin plutôt que franco-argentin

Il est né en Argentine et y a passé son enfance. Après son bac, il rejoint la France et intègre HEC, à Paris. En 1974, il entre à l’hebdomadaire Jeune Afrique comme spécialiste de l’Amérique latine. En dix ans, il gravit tous les échelons du journal, puis du groupe, dont il devient directeur. Parallèlement, entre 1976 et 1983, il s’investit activement dans l’information sur la dictature militaire argentine.

Il attendra décembre 2001 pour revenir s’installer dans son “premier pays“, conscient de la situation, mais sans savoir qu’elle va dégénérer. En janvier 2002, en pleine crise, il entame sa collaboration avec RFI, La Tribune et France Culture. Trois médias contactés bien avant les événements, et qui, jusque’alors, n’avaient pas de correspondant dans le pays.

Aujourd’hui, la pression est retombée, mais Jean-Louis Buchet ne manque pas de travail. C’est surtout RFI qui l’occupe (trois à quatre sujets par semaine). Il faut dire qu’il opère à la fois pour le service mondial en français et le service latino-américain en espagnol. “Cette vision internationale de l’information me plaît”, confie-t-il. “Je ne me suis pas toujours senti à l’aise avec la vision franco-française.” Mais cette correspondance en deux langues lui impose un rythme de travail bien particulier. Les sujets diffusés le matin sur les radios françaises doivent être envoyés dans la nuit depuis l’Argentine. A l’aube, Jean-Louis Buchet est à nouveau debout pour préparer les premiers journaux du service latino-américain. Et avant 13 heures, il doit transmettre ses articles écrits à La Tribune (au moins deux par semaine).

Alors commence une deuxième journée, consacrée à la recherche d’informations, aux interviews. Parfois, aussi, aux réunions de l’Association des parents d´élèves du Lycée Jean Mermoz, dont il est le président. Ou aux missions qu’il assure en tant que représentant de Reporters sans frontières en Amérique du Sud. Mais loin d’être débordé, il pense sérieusement à collaborer avec certains médias argentins. Lesquels, ça c’est encore un secret.

Marine de la Moissonnière, 25 ans – Les Echos, France Info, France Inter, Radio Vatican – “Je suis venue pour apprendre des choses et pour que ce soit difficile.

Son discours passionné convaincrait n’importe quel “médiaphobe” que le journalisme est finalement le plus beau métier du monde. Surtout quand, comme elle, on est curieux de tout. C’est d’ailleurs l’envie de découvrir qui a poussé Marine de la Moissonnière en Argentine. L’idée de partir lui est venue pendant ses études de journalisme au Celsa, à Paris. C’est finalement en juillet 2003, renonçant à son premier emploi en France, qu’elle s’envole pour Buenos Aires.

Avant de partir, elle est entrée en contact avec France Info, France Inter et Radio Vatican. D’autre part, Les Echos lui ont donné le poste vacant de correspondante. Un vrai challenge. “Je suis partie avec mes bouquins et mes cours d’économie”, raconte-t-elle. “A la rédaction, on ne me connaissait pas, on m’a fait confiance, donc je dois être irréprochable.” Dans ses bagages, elle emporte aussi la panoplie du parfait journaliste radio : lecteur minidisc, micro, logiciel de montage. Un investissement non imposé, mais auquel elle a consenti par souci du travail bien fait. “Je ne suis pas venue ici pour être journaliste au rabais”, fait-elle remarquer. “Ça me fait plaisir de peaufiner mes reportages et c’est comme ça que j’envisage la radio.

La radio, justement, c’est ce qui l’occupe le plus. Mais pour que ça dure, pas question de baisser la garde. “Je passe beaucoup de temps à lire les journaux, à me balader, à parler avec les chauffeurs de taxi pour trouver des idées de sujets”, explique-t-elle. Un jour, bien sûr, elle rentrera en France, quand elle commencera à s’ennuyer. Mais pour l’instant c’est loin d’être le cas, et l’absence des religieuses au chocolat n’y changera rien.

Christine Legrand – Le Monde, L’Expansion

Bien que personnage central dans le petit monde des correspondants français en Argentine, la journaliste n’a pu, par manque de temps, accéder à notre proposition d’interview. Nous publions ci-dessous des extraits d’un courriel qu’elle nous a fait parvenir.”J’ai fait des études de lettres modernes puis un doctorat en sciences de l’information. J’ai commencé dans la presse en province, à Versailles, puis je suis partie à Bruxelles au service de presse de la Communauté Européenne. Je suis ensuite entrée à l’AFP en 1974, à Bruxelles, puis à Paris au service politique et au desk international. Je travaillais en même temps pour [le magazine] Elle (reportages et rubrique mode). En 1979, j’ai quitté l´AFP pour suivre mon mari (Osvaldo Tcherkasky, journaliste argentin, ndlr), qui travaillait à l’AFP et a été nommé à Washington. Là j’ai travaillé en free lance pour plusieurs médias. J’ai notamment couvert la guerre au Nicaragua.

En 1983, nous sommes venus à Buenos Aires. C’était le retour de la démocratie, une étape intéressante à vivre et nous sommes restés. J’ai travaillé pour différents médias puis j’ai repris Le Monde en 1990. Avec l’actualité chaude ces dernières années au Chili (affaire Pinochet) et en Argentine, j’ai pu couvrir ces pays de façon suivie.”

Parmi mes meilleurs souvenirs, [je citerais] les reportages dans les provinces de l’intérieur et notamment à Jujuy et Salta, qui constituent un autre pays par rapport à Buenos Aires. [Il y a] aussi un reportage qui m’a beaucoup émue, il y a plusieurs années, à l’hôpital psychiatrique Bordas sur une radio, La Colifata, faite par les patients. Et au Chili, [j’ai eu] la chance d’être en contact et d´établir une relation d’amitié avec le juge Juan Guzman, qui a inculpé Pinochet, ce qui a énormément facilité ma couverture.

Vincent Boigey, 30 ans – RTL – “Je n’ai plus beaucoup d’illusions sur les médias

Aux lecteurs attentifs du Trait d’Union, ce nom dit peut-être quelque chose. Depuis mars dernier, Vincent Boigey a rejoint l’équipe du mensuel. Ce n’est toutefois pas un nouveau venu. Il fut chargé de la création du site internet du journal et, depuis, réalise chaque jour la newsletter envoyée par courriel.

Vincent Boigey est arrivé en Argentine il y a huit ans. A l’époque, il sort de l’Ecole de journalisme de Marseille, spécialité radio. Pour échapper au service militaire, il choisit la coopération à l’étranger et obtient un poste d’attaché audiovisuel au service culturel de l’Ambassade de France à Buenos Aires. Seize mois plus tard, libéré de ses obligations, il décide de s’installer dans le pays. Son premier emploi, il le décroche à Radio Nostalgie, réplique argentine de son homonyme française. Puis, en 2000, il est embauché par TodoFrancia, le site internet en langue espagnole dédié à la France, lancé en Argentine et étendu ensuite à tous les pays hispanophones et au Brésil.

Aujourd’hui, cela reste son activité principale. Sa correspondance pour RTL, commencée en février 2001, est épisodique. “Quand tu pars à l’étranger, explique-t-il, on considère en gros que tu es en vacances et que ce n’est pas bien grave si on ne te donne pas de travail.” Malgré cela, il refuse d’être correspondant pour d’autres médias. “Je suis contre le cumul des piges“, justifie-t-il. Vincent Boigey met aussi en cause le faible intérêt des médias français à l’égard de l’Amérique du Sud. “On ne donne pas à cette région l’importance qu’elle mérite, et de cette façon, on lui dit qu’elle n’a pas d’importance.” Selon lui, les rédactions sont surtout intéressées par le spectaculaire. Sans doute pour rompre cette logique, Vincent Boigey aimerait désormais faire des documentaires pour la télévision.

Chistophe Plotard

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