Le dernier roman de Delphine de Vigan

Les enfants sont rois, un livre époustouflant, à mettre dans les mains de tous : parents et enfants !

Un livre vertigineux et nécessaire, Delphine de Vigan a reçu de nombreux prix, en 2008 pour No et moi, en 2015 pour son roman D‘après une histoire vraie (prix Renaudot) par ailleurs adapté à l’écran par Polanski, elle a également publié Les loyautés et Les Gratitudes, respectivement en 2018 et 2019. Dans son dernier livre, paru en mars 2021, Les enfants sont rois, l’auteure révèle l’ampleur d’un phénomène assez largement ignoré, explore les dérives d’une époque où l’on ne vit que pour être vu et aimé, jette un regard  bouleversant et juste – qui ne juge pas- sur ce que l’on peut appeler les « violences invisibles » dont les victimes sont des enfants Youtubeurs, enfin sur les ravages de la téléréalité dans notre société.

Ce roman s’inspire d’un phénomène réel et livre un portrait extra lucide de notre monde à l’ère numérique, gangréné par les réseaux sociaux et l’exhibitionnisme virtuel soit la  tendance narcissique et la surexploitation de l’image de notre époque.

Mélanie Claux, l’héroïne, met en scène sa vie familiale sur Youtube et Instagram. Fascinée par les émissions de téléréalité, depuis l’adolescence (Loft Story), la jeune mère partage sa vie quotidienne avec « ses chéris », ses « poutous chéris »  soit ses millions d’abonnés. Elle peut poster deux à trois vidéos par semaine de ses enfants Sammy et Kimmy, âgés de huit et six ans, « partager » leurs activités avec «sa communauté », par le biais des « stories » prises dès leur réveil et tout au long de la journée. Intimité ? Point.

Les consignes sont bien rodées, les mêmes phrases répétées pour commencer ou clore les vidéos dans lesquelles les enfants ouvrent des paquets : jouets, confiseries… Des images des enfants, sans limite…ni protection légale. Le succès est tel que Mélanie, mère hyper présente et attentive, crée, avec l’aide de son mari Bruno, informaticien,  sa propre chaîne « Happy Récré ». Derrière l’addiction aux réseaux sociaux, on découvre l’envers du décor des “Instagrammers”, soit le rythme infernal imposé aux mineurs et les sommes considérables engendrées par cette formidable activité économique. Une activité lucrative car avec 25 millions de vues et 5 millions d’abonnés, les revenus générés transforment cette jeune femme de classe moyenne en millionnaire. Tout se vend, la famille place même ses propres produits, “Il faut le voir pour le croire”.

Tout vacille  lorsque Kimmy disparaît, probablement kidnappée.

Clara, jeune procédurière, travaille à la brigade criminelle, elle fait tout pour retrouver la petite fille et par ricochet met à jour le système de Mélanie, en essayant d’établir le profil psychologique de cette redoutable femme d’affaires. Mélanie Claux souffre-t-elle d’un manque abyssal de reconnaissance ? Pour elle, sa « communauté » est son œuvre, elle s’auto persuade que « Happy Récré » est « un cadeau offert à sa famille”, « un cadeau qui avait illuminé leur vie ». Est-elle un redoutable stratège qui ayant étudié le phénomène tel qu’il existe aux États-Unis « avance en douceur, crée de l’attachement avant l’introduction des marques et des produits » ? Enfin Mélanie serait-elle tout simplement une femme comme les autres, ni victime ni bourreau mais résolument une femme de notre époque ?

Dans ce thriller, Delphine de Vigan, fine observatrice de notre société dresse un état des lieux saisissant à la limite du documentaire. L’auteure montre de quelle manière les réseaux sociaux ont pris le relais de la téléréalité, née il y a tout juste vingt ans. L’auteure livre une analyse glaçante des dérives d’une société où la mise en scène et l’exhibition sont devenues la norme. Elle donne à réfléchir sans condamner tout en tenant le lecteur en haleine car le dénouement ne se situe qu’en 2031.

On peut également méditer sur les deux citations, celle de Stephen King : “Nous avons eu l’occasion de changer le monde et nous avons préféré le téléachat” ou celle d’Annie Ernaux: “On pressentait que dans le temps d’une vie surgiraient des choses inimaginables auxquelles les gens s’habitueraient comme ils l’avaient fait en si peu de temps pour le portable, l’ordinateur, l’iPod et le GPS”, avant d’envoyer d’un clic, la photo de notre chat à nos « abonnés » !

Un roman à lire résolument !

Les enfants sont rois, de Delphine de Vigan, Ed. Gallimard, paru en mars 2021

Elisabeth Devriendt

Partager sur