#Je Reste à La Maison

JOUR 17 (suite, encore) Etape 7 : Deux fois par jour et à des moments précis, j’entends que, depuis son balcon, une femme sportive et probablement très énergique propose une séance de gesticulation corporelle

Etape 7

Deux fois par jour et à des moments précis, j’entends que, depuis son balcon, une femme sportive et probablement très énergique propose une séance de gesticulation corporelle (n’y voyez ici aucunement un terme péjoratif) ; ces choses dont le nom se termine toutes par -ing ; anglicisation oblige des nouveautés un tant soit peu à la mode dans notre monde globalisé. Elle hurle, vitupère, admoneste et encourage des élèves invisibles (que j’imagine, en toute subjectivité, bedonnants, soufflant et ahanant chacun sur son balcon respectif, un-deux, un-deux…) au son d’une musique assourdissante qui a le malheur de me rappeler celle qui réussit à transpercer les tôles des voitures ; thème sur lequel je me suis déjà épanché. Et pourtant, cette fois-ci, je serai presque impatient d’entendre quotidiennement les prémisses annonçant son commencement symbolisant à mes yeux le mouvement, l’énergie, la vie. J’ai vu aussi sur les innombrables « mémés » qui débarquent sur mon portable, que ces véritables « cadeaux » pour les autres étaient proposés sous de multiples formes un peu partout dans le monde. Don de soi-même, recherche de convivialité, de contact, de dialogue et d’ouverture. Notre être serait-il construit autour d’un besoin d’aller vers l’autre, de communiquer ? Cela me fait dire que tout n’est pas perdu et j’espère que ces actes généreux ne s’étioleront pas au fil des jours qui passent, que la résignation ne prendra pas peu à peu le dessus sur ces élans de vivacité.

Le nouveau silence qui s’est dorénavant abattu sur la cité me permet aussi de discerner, parfois, et en fin de matinée, une femme faisant des vocalises. Elle monte, elle descend, puis remonte encore ; soprano à n’en pas douter. Je goûte avec délectation ces allées et venues de gamme.

Je sens des vibrations autour de moi et de ma routine quotidienne. Je ne suis pas seul.

Etape 8

C’est l’heure du déjeuner. Son heure varie selon les occupations du matin. Plat léger du fait que côté activité physique, on est proche du zéro sur le compteur de dépense d’énergie calorique. Mon pied ne me permet toujours pas d’avoir une mobilité parfaite et m’empêche donc tout mouvement intempestif. Je suis encore très loin de pouvoir participer à l’activité « balcon » ! Je me demande même parfois quand il reviendra à la normale celui-là ! Au début, mon pied ressemblait à une énorme empanada ou un chausson aux pommes, c’est selon les goûts. Jour après jour, je suis la phase de rémission en scrutant les espaces de peau qui reprennent une certaine normalité, millimètre carré par millimètre carré. La comparaison est facile grâce à la présence de son frère, à gauche. Mais Dieu que tout cela va lentement ! Je me demande même si lui et le confinement ne se sont pas donné le mot ! J’ai presque de la chance. On m’interdit de sortir de chez moi alors que justement je serais dans la quasi-incapacité de le faire !

Etape 8bis

Je dis « bis » parce qu’il s’agit de la suite logique et évidente de l’étape précédente. Un véritable rituel, auquel je crois bien n’avoir jamais dérogé depuis le début de mon confinement, s’est installé sans qu’il ne puisse à aucun moment être remis en question. Césure de la journée, véritable point de repère qui définit mon quotidien de cloîtré : il y a un « avant » et un « après ». Il faut dire que l’absence horaire contraignant m’y aide aussi. Mon agenda est vide de toute obligation autant sociale, qu’amicale. D’ailleurs, —est-ce un autre signe ? —, la pile de ma montre vient de me lâcher il y a peu. Je n’ai plus besoin du temps de l’homme pour vivre ; la lumière du jour et de ses clartés qui varient selon le moment de la journée, me suffisent amplement pour me repérer.

Ainsi, je m’allonge sur le canapé ; non sans avoir fermé auparavant toutes les fenêtres afin de ne pas être rattrapé par un bruit inattendu et avoir pris soin de bâillonner toutes alarmes de téléphones et autres tablettes lesquelles, d’habitude, occupent mon espace sonore. Je prends un livre que je feuillette distraitement. Très vite, les lignes se mélangent, ondulent, se dispersent et vagabondent un peu partout dans mon esprit, le poids insurmontable des 250 pages, plusieurs tonnes sans doute, font que, inexorablement, elles se rapprochent de mon visage. En même temps, je sens mes paupières s’affaisser sans que je puisse avoir le moindre contrôle sur elles. J’ai parfois un petit sursaut, un bref instant de conscience, où je reprends mes sens. Juste pour avoir le temps de laisser tomber le bouquin à un endroit imprécis et m’abandonner… doucement… imperceptiblement… voluptueusement.

(A suivre)

Pierre Leheup

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