Annie Ernaux, première romancière française sacrée prix Nobel de littérature

La maison d’édition Gallimard a de quoi se réjouir, quatorze ans après le Nobel de Jean-Marie Le Clézio, sept ans après celui de Patrick Modiano, la nouvelle lauréate Annie Ernaux …

La maison d’édition Gallimard a de quoi se réjouir, quatorze ans après le Nobel de Jean-Marie Le Clézio, sept ans après celui de Patrick Modiano, la nouvelle lauréate Annie Ernaux est la seizième personne de nationalité française récompensée par le célèbre prix -la dix-septième femme sur les 114 prix décernés depuis 1901-.

Annie Ernaux, passion de l’écriture, une œuvre à dimension sociologique et politique.

La lauréate du prix Nobel de littérature 2022 a publié plus de vingt courts romans personnels.
Figure du féminisme, engagée à gauche, ses livres, brefs textes intimistes, évoquent un quotidien de femme dans une œuvre nourrie de son histoire intime et de l’observation des autres « elle parle [aux femmes] de choses dont les hommes ne peuvent pas leur parler ».

Née en 1940, l’auteure évoque en détail son milieu de « dominés », celui du monde ouvrier. Dans Les Années (2008), elle trace un témoignage fidèle des conditions de vie dans les années cinquante, une sorte de radiographie de l’après-guerre. Des conditions de vie difficiles et inégales dans une France dévastée, comme l’ont illustré par leurs photographies Cartier Bresson et Doisneau. Le pays ne connaît une reconstruction à un rythme accéléré qu’à partir des années soixante. L’auteure dresse un état des lieux réel, sans évoquer cependant l’ascension sociale due au mérite dont elle a bénéficié, ni l’émancipation économique et individuelle qu’a connue la population et tout particulièrement les femmes à partir des “Trente glorieuses”.

Ses textes sont avant tout personnels, intimes, émouvants – une œuvre emblématique- une œuvre qui s’adresse au ressenti intime des femmes. Simone de Beauvoir et Benoîte Groult ont salué dans ses premiers livres Les Armoires vides (1974) et Ce qu’ils disent ou rien (1977) les descriptions des inégalités des sexes devant le mariage et l’enfantement.

Avec La Place (1983) écrit après la mort de son père, elle accentue son projet de « donner à toute vie la dignité de l’écriture ». Elle évoque la maison modeste de son enfance, cherche à retrouver la vie réelle dans un passé en partie oublié, retrouver le souvenir du présent, franchir un interdit en racontant cette vie modeste.

Annie Ernaux, écrivaine pour les femmes ?

Oui, car sa génération se reconnaît, elle crée une empathie avec ses lectrices, retrace sa vie- comme celle de toute femme-. L’écrivaine souligne : « Je me suis servi de ma vie et de mes sentiments » On lui a parfois reproché « ce dont et comment [elle] en parle », animée par un fort sentiment de transfuge social venu de ses origines : la honte indicible, elle a choisi de « retourner cette honte. J’écrirai pour venger ma race, en écrivant je me suis approchée au plus près de ce désir-là », la révolte est souvent à l’origine de ses livres.
Dans L’Événement (2000), elle raconte son avortement clandestin dans les années 60 (la loi Veil n’a été votée qu’en 1975) la situation insupportable des femmes car la maternité était, alors, souvent vécue comme un emprisonnement.

Annie Ernaux : écrire la vie comme au quotidien.

Ses textes évoquent le parcours d’une femme libre – libre car la société a évolué – en quelque sorte comme dépositaire de quelque chose : la vérité du souvenir. Son écriture parfois caractérisée de neutre est le fruit d’un long travail, travail de reconstitution du ressenti du passé, sans complaisance, densité des phrases, des mots. Elle s’est consciemment exposée au scandale à travers les sujets de ses romans, l’écriture n’est pas neutre. De nos jours, l’écriture s’est libérée. Ses textes sont un genre littéraire en eux-mêmes par l’extrême singularité de son écriture. « J’ai pu voir comment en écrivant sur moi, j’écrivais pour les autres, en parlant de moi, j’ai touché à l’universel ». Elle a inventé une forme littéraire tout à fait nouvelle, pas de narcissisme, plutôt un sacrifice de soi, un travail de mémoire et a su bouleverser le lecteur avec des précisions économiques, corporelles, psychologiques.

L’Académie a salué cette « autofiction à dimension sociale », cette anthologie d’Annie Ernaux par elle-même.

La modernité de la nouvelle lauréate

En mettant des mots sur le ressenti, elle influence les nouvelles générations. Ainsi le film d’Audrey Diwan « L’événement » (2021) est une adaptation du roman éponyme, le film a reçu le Lion d’Or au festival de Venise. Danielle Arbid a adapté (2020) « Passion simple » du roman homonyme paru en 1992 et Régis Sauder a réalisé un documentaire (2020) sur la ville de Cergy-Pontoise « J’ai aimé vivre là », ville nouvelle, en banlieue parisienne où habite la lauréate.

Elisabeth Devriendt

 

Prix obtenus par l’écrivaine : 

1984- Prix Renaudot pour La Place.
2008- Prix Marguerite Duras, Les Années.
2008- Prix François Mauriac, Région Aquitaine, Les Années
2008- Prix de la Langue française pour l’ensemble de son œuvre.
2017- Prix Marguerite Yourcenar pour l’ensemble de son œuvre.
2014 -Docteur Honoris causa, Université de Cergy-Pontoise.
2016 – Prix strega de littérature européenne
2019 – Prix international Booker, Les Années
2022 – Prix Nobel de littérature 

 


 

Partager sur